On peut le dire : j’étais en guerre contre les fourmis. Suite à leur invasion surprise dans mon jardin et au ravage de mon gazon, j’ai déterré la hache de guerre :
D’abord, en « bon Yogi », j’ai commencé par la méthode pacifique, en tentant de les éloigner avec des répulsifs naturels comme du purin de sauge fait maison, pour ensuite monter progressivement dans la violence en commençant par des répulsifs chimiques : inefficaces. J’ai donc tenté successivement de les noyer, de les empoisonner avec de la chimie (appâts, glues et autre poudres), jusqu’à détruire physiquement leur fourmilière à coups de binette acharnés , ce qui n’a pas manqué de bousiller une partie de mon gazon et de me faire perdre au passage 5 points de Karma supplémentaires. Oui, je dis bien « coups de binette acharnés » car c’était pendant le confinement : j’étais en colère et comme toujours, il fallait un responsable. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai décidé de faire payer les fourmis !
Je pensais avoir gagné la partie car cela faisait plusieurs mois que je n’avais plus vu de fourmis dans mon jardin.
Ce matin, je sors sur ma terrasse, il fait beau et je commence donc ma pratique de Yoga quotidienne.
Je suis en préparation pour faire la posture du « V inversé ». Je suis allongé sur le ventre, au sol, sur la terrasse de mon jardin. Et je vois alors, juste sous mon nez, une longue file de fourmis, qui transporte de la nourriture d’une extrémité à l’autre de mon jardin, en traversant de manière éhontée ma terrasse (voir photo ci-dessus, pour preuve du délit).
Et là, après un grand soupir, je m’incline, rendant hommage à leur incroyable capacité de résilience, leur résistance et leur capacité à agir de manière unie, cohérente et coordonnée.
Dans cette posture d’humilité, allongé de tout mon poids sur le sol, je ressens alors un sentiment de respect pour ces petits insectes qui peuplent la terre depuis 140 à 168 millions d’années. C’est à dire bien avant nous, l’apparition des premiers hommes datant seulement de 300 000 à 200 000 ans.
Il faut dire que leurs capacités physiques sont hors norme, leur système de communication extrêmement élaboré et rapide (échanges de phéromones), leur intelligence collective est surprenante. Il découle de tout cela une incroyable capacité d’adaptation à travers les âges.
Donnez un coup de pieds dans une fourmilière et vous verrez ce qui se passe : chaque individu s’active instantanément pour répondre à la situation. Les combattantes, les ouvrières, les nourricières : toutes se concentrent sur leur mission dans le but ultime de sauver la fourmilière.
Quelle inspiration pour nous, en cette période trouble où règne la peur et l’égoïsme, chacun estimant être la victime d’une situation injuste ou autrui est toujours le responsable. Notre fourmilière est en train de brûler, et nous nous regardons le nombril !
Pendant que je reprends mon souffle, une fourmi, curieusement plus grosse que les autres, vient dans ma direction, quittant la longue traînée noire formée par les autres fourmis. Elle s’approche de mon visage, peut-être pour me souffler à l’oreille l’idée qui me vient ensuite :
« L’action concentrée, dans un esprit d’unité, permet de soulever des montagnes… et de sauver la fourmilière ! »
Voici comment j’ai interprété cette idée en faisant le parallèle avec le Yoga :
« L’action concentrée », c’est « se concentrer sur l’action et non sur le fruit de l’action » (un concept clé du livre de la Bhagavad-Gita si chers aux Yogis). Si je me concentre sur le fruit de l’action (le gain ou la perte financière, une rupture, l’approbation ou le jugement des autres, etc.), mon esprit est tendu et mon action en est teintée, je vis dans alors dans un futur que je ne contrôle pas et qui n’existera peut-être jamais.
Si je me concentre pleinement sur l’action, sans en attendre les fruits, je suis détendu et je vis dans le présent. Je peux donc prendre plaisir et savourer l’instant présent. Par ailleurs, je suis plus efficace, j’ai donc plus de chance d’atteindre mon objectif. D’autre part, mon action est teintée par la Présence, les autres le ressentent et il s’en dégage de la joie et de l’unité. Enfin, quand je suis intensément concentré sur l’action, toute peur disparait.
« L’esprit d’unité », c’est arrêter de penser que nous sommes tous séparés et tous différents. Nous faisons tous face aux mêmes peurs (notamment la peur de mourir, que ce soit la mort physique ou celle de l’ego). En réalité, nous sommes tous connectés les uns aux autres, à un niveau ou à un autre, ne serait-ce que parce que nous avons les mêmes besoins essentiels et la même maison, la Terre.
Réaliser ces deux aspects du Yoga est un long travail de fourmis ! Pour ma part, c’est encore loin d’être le cas tout le temps. Comme tout le monde, je suis soumis aux nombreuses distractions liées au monde moderne. Par ailleurs, l’esprit de division, diffusé notamment à travers les médias ou les réseaux sociaux n’a jamais été aussi présent et a atteint des sommets avec la crise du Covid.
Même si ce n’est pas facile, c’est une victoire, un instant de joie et de grâce, à chaque fois que ces deux aspects sont présents dans ma vie. Une chose est sûre, la pratique régulière du Yoga, est l’une des voies précieuses pour y accéder.
Et puis si les fourmis y arrivent, pourquoi pas nous 🙂